Le décolletage, noble art façonnant avec précision les métaux : un savoir-faire ancestral de l'industrie manufacturière de la Vallée de l'Arve. 


Le décolletage résonne de manière indissociable avec les usines qui émaillent la vallée de l'Arve. Toutefois, peu sont ceux qui perçoivent réellement l'ampleur de cette activité manufacturière, source de la confection de pièces constitutives d'objets indispensables à notre quotidien, qu'il s'agisse de nos machines à laver ou de nos véhicules automobiles. De manière plus générale, le décolletage, aux multiples facettes, engendre la création de pièces dans des domaines aussi variés que la mécanique elle-même, comprenant l'équipement domestique, l'industrie automobile, l'horlogerie traditionnelle, l'aéronautique, l'aérospatiale, le domaine médical, l'industrie du luxe, la connectique, les énergies renouvelables, les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication, pour n'en nommer que quelques-uns. 


1- Une incursion dans la technique

Le décolletage se présente comme un procédé d'usinage par enlèvement de matière, conférant la possibilité de concevoir des pièces tournées à partir de barres ou de filaments métalliques. L'usinage de base est accompli à l'aide de machines automatiques, semi-automatiques ou à commande numérique. La matière première, introduite dans la zone d'usinage, est progressivement façonnée par une série d'outils tranchants, dont le nombre, la forme et la disposition permettront d'obtenir des pièces plus ou moins complexes, aux dimensions variées et aux niveaux de précision différenciés.

Les pièces sont usinées de manière successive dans la barre, et ce, en quantités variables, qu'il s'agisse de petites ou de grandes séries. L'objectif sous-jacent consiste à atteindre un niveau de précision et de productivité élevé. De ce fait, on s'emploie à réduire au minimum la production de copeaux, c'est-à-dire les résidus générés lors de l'usinage.

D'ordinaire, les pièces ainsi usinées sont soumises à des opérations complémentaires (mécaniques, thermiques ou chimiques) avant d'être employées par les clients dans l'assemblage de sous-ensembles. 

Le décolletage se réalise au moyen de machines baptisées "décolleteuses" ou "tours automatiques", dont les mouvements sont générés par des systèmes à cames ou, plus récemment, à commande numérique (CNC).

Les pièces obtenues grâce à cette technique se caractérisent généralement par leurs petites dimensions (diamètre allant de 0,1 mm à 60 mm) et leur précision élevée (allant du millième au centième de millimètre). Outre les opérations de tournage, de taraudage et de filetage, certaines décolleteuses sont capables d'effectuer des opérations supplémentaires telles que le perçage, le fraisage, voire l'usinage complet de la pièce grâce à une deuxième broche, évitant ainsi les coûteuses étapes de reprise visant à rectifier la pièce.

Les tours automatiques à cames sont dotés d'un arbre à cames qui effectue un tour complet par cycle d'usinage d'une pièce. Des systèmes de cames et de leviers sont utilisés pour déplacer les éléments de la machine (chariots porte-outils, combinaisons de contre-opérations, poupée mobile ou chariot longitudinal, etc.) durant le cycle d'usinage. La vitesse de rotation de l'arbre à cames est synchronisée avec celle de la broche, ce qui permet notamment d'effectuer des opérations de filetage. 

Les "décolleteuses" ou "tours automatiques" sont des machines-outils qui, bien qu'assimilables à des tours, se distinguent par deux particularités notables : leur mode de fonctionnement entièrement automatique, incluant l'approvisionnement en matière depuis la barre ou la torche, et leur capacité à produire principalement des pièces mécaniques de petites dimensions avec une grande précision, en réalisant des séries importantes, voire très importantes.

Dans les tours automatiques à commande numérique, ou plus précisément à commande CNC (Computer Numerical Control), les cames traditionnelles ont été remplacées. Les différentes fonctions de la machine sont exécutées par des axes commandés par des moteurs à asservissement numérique, suivant un programme élaboré sur un micro-ordinateur puis transféré à l'ordinateur de la machine. Cette solution permet de réduire considérablement le temps de mise en marche, car toute la programmation peut être réalisée en temps différé, de même que la préparation des outils (préréglage). Ainsi, le tour automatique à commande CNC rend possible une production rentable de séries moyennes et petites, avec des temps d'arrêt réduits au minimum.


En fin de compte, une usine moderne de décolletage se présente aujourd'hui comme une vaste salle où des ordinateurs dirigent des robots. On y trouve même des machines qui vérifient les pièces fabriquées et, le cas échéant, effectuent les rectifications nécessaires, réduisant ainsi les rebuts à quasi néant. Pour réaliser tout cela, une nouvelle technique appelée mécatronique est mise en œuvre.

La mécatronique constitue une nouvelle approche du travail mécanique. Selon la norme NF E 01-010 de 2008, elle est définie comme une démarche visant à intégrer de manière synergique la mécanique, l'électronique, l'automatique et l'informatique dans la conception et la fabrication d'un produit, en vue d'en augmenter et/ou d'en optimiser la fonctionnalité. Cette technique est désormais enseignée dans les écoles d'ingénieurs et est particulièrement développée par une entité appelée Thésame, qui œuvre dans le domaine de la mécatronique.

2 - Formations et Ecoles

À Cluses, le lycée professionnel Paul Béchet dispense une formation complète au décolletage avec la préparation au Baccalauréat professionnel Décolletage ainsi qu'un Certificat d'Aptitude Professionnelle (CAP).

Le Lycée professionnel Montjoux à Besançon propose également une formation approfondie en Baccalauréat professionnel Décolletage, tant en formation initiale qu'en formation continue. En 2011, un CAP a également été introduit au Lycée professionnel de Champagnole.

Compte tenu de la forte présence de l'industrie du décolletage en Suisse voisine, il est courant que des jeunes formés en France trouvent directement des emplois en Suisse, offrant ainsi de nouvelles opportunités dans ce domaine.


3- Aspects économiques 

La France se distingue par son dynamisme dans le secteur du décolletage, comptant au total 905 entreprises qui emploient 19 000 salariés et génèrent un chiffre d'affaires dépassant les 2 milliards d'euros, dont 23 % proviennent de l'exportation directe.

Les deux tiers de ces entreprises sont implantées en Haute-Savoie, principalement dans la vallée de l'Arve et aux alentours de Cluses, où elles emploient 14 000 salariés. La région de Franche-Comté constitue la deuxième région majeure du décolletage en France, bénéficiant d'un riche héritage dans les secteurs de l'horlogerie et de la lunetterie.

Cependant, le modèle économique du décolletage expose les entreprises à une grande vulnérabilité face aux puissants donneurs d'ordres, étant souvent considérées comme de simples sous-traitants. On dit souvent que lorsque "les constructeurs toussent, les sous-traitants s'enrhument". Néanmoins, l'émergence croissante de domaines tels que la médecine, les loisirs, la connectique, qui ont leurs propres exigences, offre un espoir de diversification.

Par ailleurs, une profonde mutation a commencé à se dessiner dans le tissu industriel local. Bien qu'un grand nombre de très petites entreprises subsistent, de nombreuses autres ont disparu, et une vague de fusions, acquisitions et regroupements a profondément modifié le secteur. Sur le plan technologique, les investissements dans le développement de nouvelles machines ont permis d'améliorer la précision et les performances.

La création du pôle de compétitivité Arve Industries Haute-Savoie Mont-Blanc a joué un rôle essentiel en fédérant et en mutualisant les compétences, afin d'orienter l'industrie du décolletage vers une pérennisation de son leadership et une adaptation aux défis futurs.


Pour le présent et l'avenir, l'industrie du décolletage traditionnel doit également se prémunir contre la concurrence croissante de l'Asie du Sud-Est et de l'Inde, qui ont déjà conquis une part du marché, ainsi que l'émergence de nouvelles technologies. En effet, de plus en plus de pièces sont désormais fabriquées en plastique plutôt qu'en métal. De plus, l'impression 3D offre la possibilité de créer des pièces en ajoutant de la matière à partir d'un fil fondu, tandis que le décolletage se base sur l'enlèvement de métal à partir d'une barre.

Ces évolutions technologiques constituent des défis importants pour l'industrie du décolletage, qui doit s'adapter et trouver des moyens de rester compétitive. Toutefois, il convient de souligner que le décolletage conserve ses avantages en termes de précision, de productivité et de savoir-faire spécialisé, ce qui lui confère une position solide malgré ces nouveaux concurrents.

Il est donc essentiel pour les acteurs du décolletage de rester à l'avant-garde de l'innovation, d'explorer de nouvelles applications et de développer des partenariats stratégiques pour faire face à ces défis. La capacité à anticiper les évolutions du marché, à investir dans des technologies de pointe et à diversifier les matériaux et les processus de fabrication sera cruciale pour maintenir la compétitivité et assurer un avenir prospère à l'industrie du décolletage.


4 - Pourquoi le décolletage s'est installé dans la vallée de l'Arve ? 


Le décolletage s'est créé et développé dans la Vallée de l'Arve principalement en raison de l'influence de l'horlogerie locale et des circonstances historiques. Au 18e siècle, un horloger nommé Joseph Ballaloud aurait joué un rôle clé dans l'établissement de l'industrie du décolletage dans la région. Après avoir acquis des connaissances à Nuremberg, il est retourné à Saint Sigismond, près de Cluses, et a transmis son savoir-faire aux paysans locaux. Ces derniers ont commencé à produire de petites pièces d'horlogerie qui étaient vendues aux fabriques horlogères de Genève. Au fil du temps, la profession s'est officiellement organisée et structurée, se répandant dans toute la région du Faucigny. Avant la Révolution, on comptait 115 horlogers répartis dans 16 communes.

Au 19e siècle, l'industrie horlogère locale a connu des difficultés en termes de qualité et d'infrastructures, et un grave incendie a ravagé la ville de Cluses, détruisant les ateliers. Pour rivaliser avec les horlogers suisses et garantir l'indépendance économique de la vallée, le Docteur Firmin Guy a créé en 1848 une école spécialisée qui formait à la fois des horlogers et des décolleteurs (qui deviendra plus tard l'École Nationale d'Horlogerie). À la même époque, la pédale à pied utilisée pour actionner le tour a été remplacée par un système hydraulique, puis par des moteurs électriques. Cela a permis d'adopter une organisation quasi industrielle dans le domaine du décolletage.

Ainsi, l'histoire de l'horlogerie locale, les initiatives des individus et les avancées technologiques ont contribué à l'émergence et au développement de l'industrie du décolletage dans la Vallée de l'Arve.


À la fin du 19e siècle, de nouveaux secteurs d'activité tels que l'automobile, l'électricité, le cycle et la téléphonie ont émergé, offrant de nouvelles perspectives aux entreprises de la région. La Première Guerre mondiale a entraîné les usines locales dans l'effort de guerre, stimulant ainsi l'essor de l'industrie du décolletage pour répondre aux besoins importants de pièces et d'armes pour l'armée.

La croissance de l'industrie automobile et l'introduction de l'électronique et de l'électroménager dans les années 1970 ont constitué une formidable opportunité pour les décolleteurs de Haute-Savoie, qui ont connu une période prospère. Le chiffre d'affaires des industriels a doublé entre 1970 et 1974. Les capacités de production et la qualité ont forgé la renommée internationale de la Haute-Savoie en matière de décolletage et de sous-traitance industrielle. Il convient de souligner l'importance de l'école d'horlogerie et de l'engagement des décolleteurs eux-mêmes, notamment à travers le syndicat national du décolletage, dans cette évolution positive.